Commentaire extrait d’un interview conduit par Thierry Renard qui clôt le livre :
Pourquoi ce recueil, Isabelle, si différent, pour moi, de tes autres ouvrages ?
L’histoire commence à ma naissance en Algérie, pendant la guerre d’indépendance, mon père instituteur arrivé dans ce pays en 54 avec ma mère qui voulait vivre au soleil ! et mon grand frère qui n’avait que quelques mois à l’époque, le suis la seule à être née là-bas que je nomme « ici » dans le premier poème de l’ouvrage et dans le titre, cette terre qui a accueilli mes trois premières années, retour en France en 62, la neige que je croyais être la mer (la méditerranée si belle en Algérie), les sarcasmes des enfants qui me traitaient de « sale pied noir », confrontation précoce au rejet, à l’injustice, au racisme, malaise ressenti, si bien qu’à la publication de mes premier et deuxième livres, j’ai « falsifié » ma biographie, inventé que j’étais née à Lyon, je me disais que c’était plus simple, faire disparaître l’Algérie de mon histoire, ne rien avoir à expliquer, à justifier et puis non, l’envie de rétablir la vérité, de ne pas dissimuler, l’envie aussi de retourner dans ce pays d’accueil, de me créer des souvenirs, de rencontrer des paysages et de « vraies » personnes, ce que j’ai fait à plusieurs reprises après 2005… Moi qui travaille auprès de petits enfants, je vois à quel point les premières années de vie forgent notre territoire intime, nous abreuvent de sensations qui prennent forme « à la lumière de nos ignorances » (Alain Corbin). Donc oui je suis bien née en Algérie et je remercie cette terre d’avoir nourri mes sens, mes premières perceptions du monde, dans un contexte difficile et contraint.
L’Algérie, ce pays à la fois si proche et si lointain… Parle-nous de l’Algérie, de ton Algérie. Parle-nous de ce qui a provoqué l’écriture de ce livre, un brin lyrique, peut-être, et sans doute plus à fleur de peau que certains de tes autres titres.
Ce livre est né comme on fait des ricochets, les mots ont rebondi d’un poème à l’autre sans y penser vraiment, parce que le paysage était là, sous mes yeux, les odeurs et en écho les livres des poètes algériens d’expression française que j’étais en train de lire. Je puisais cette matière dans la bibliothèque du Centre des Glycines où j’ai séjourné plusieurs semaines en 2006 dans le cadre de la bourse Stendhal, je m’installais sur la grande terrasse qui donne sur la baie d’Alger, je recueillais leurs tourments, leur soif d’expression et le « confinement » de leur liberté de penser. Et à partir d’un mot, d’une image ou d’une phrase qui faisait mouche, je réinventais un poème qu’en retour je leur dédiais. C’est un peu comme si je voulais souligner d’un trait de couleur vif leur génie, leur force de résistance et peut-être par cet acte de « réécriture » contribuer modestement à détacher les chaînes qui bâillonnent la langue.
Ce pays dans lequel petite enfant, je ne conservais aucun souvenir conscient, me revenait en mémoire, sous la forme insistante du poème. Avec les mots que j’ai cueillis en écoutant la voix multiple des poètes, j’ai bricolé une conscience de la beauté et de la douleur humaines du pays de ma naissance et j’ai rencontré la fraternité.
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